Le Premier ministre du Royaume-Uni Rishi Sunak vient de l’annoncer : le gouvernement britannique va accorder plus d’une centaine de nouvelles licences d’exploration et d’exploitation gazières et pétrolières en mer du Nord.
Une nouvelle qui est déjà en train de faire bondir tous les militants écologistes du pays, mais aussi les entreprises et associations qui militent pour un assainissement immédiat du système de retraite -par capitalisation- du pays.
Car voila, cette propension à renchérir sur les énergies fossiles - avec le pire timing possible - n’est absolument pas nouvelle au cœur de la monarchie constitutionnelle. Au début de l’été, l’ONG MakeMyMoneyMatter révélait dans une enquête comment 88 milliards de livres sterling (issus des fonds de pensions de retraite) étaient investis annuellement au sein d’entreprises du secteur gazier et pétrolier… Sans que les cotisants soient au courant de rien.
“Cet argent est censé garantir notre futur, mais en réalité, il est en train de le détruire.”
Cette double problématique, sur l’impact de l’argent que nous investissons et sur le manque de transparence et de choix sur ces placements, nous permet de nous poser la question ultime : peut-on vraiment reprendre le contrôle de notre propre épargne ?
Le système de retraite britannique : une capitalisation opaque
Alors oui, ce problème, c’est avant tout un problème de capitalisation. Et s’il prend dans ce contexte une dimension si improbable, c’est bel et bien car la quasi-entièreté du système de retraite britannique est basé sur une approche privée et personnelle.
Outre-manche, la retraite est en effet beaucoup plus segmentée qu’en France entre les solutions privées et publiques. Ainsi, si l’affiliation à un régime complémentaire est obligatoire pour les actifs, ces derniers possèdent une sorte de parodie de choix : rentrer dans le privé ou rentrer dans le privé, la pension publique étant totalement insignifiante (environ 850€ par mois, maximum, seulement après 35 années de cotisation).
Dès lors, les britanniques cotisent via un régime complémentaire privé d’entreprise, ou un équivalent individuel. Mais l’idée reste la même : les versements sont investis selon le bon vouloir des gestionnaires, avec plus ou moins de visibilité pour les épargnants.
Tant que la performance est au rendez-vous, il n’y a donc pas grand chose à craindre.
Enfin, jusqu’à ce que l’on observe de plus près où va l’argent investi, et ce que cela va engendrer non seulement pour la planète, mais… aussi pour les retraites.
Investissements dans les énergies fossiles : se tirer une balle dans le propre pied
Car selon Katharina Lindmeier, Senior Responsible Investment Manager chez Nest (National Employment Savings Trust), l’investissement massif des pensions de retraites britanniques dans les énergies fossiles aura même une conséquence désastreuse : cela va ruiner la sacro-sainte performance et potentiellement sacrifier le capital de toute une génération.
“Toutes les preuves sont là, la transition globale vers un objectif de “zéro émissions” aura un impact clair et net sur la performance des entreprises spécialisées dans le gaz et dans le pétrole. Il est donc inacceptable de maintenir le statu quo en refusant d’agir aujourd’hui. Les investisseurs doivent profiter de leur position unique pour challenger les entreprises qui ne souhaitent pas faire évoluer leur modèle, et restent coincées dans une logique court-termiste.”
Et honnêtement, c’est un point de vue assez facile à comprendre.
La retraite est un horizon lointain, très lointain, surtout quand on considère que l’on s’y intéresse de plus en plus tôt. Ainsi, dans une logique d’investissement sur le (très) long terme, financer aujourd’hui (ou plutôt hier) n'a strictement aucun sens. Mais vraiment aucun. Seul demain compte. Et demain, c’est loin.
L’encre a le temps de couler, le monde ne sera plus le même, mais les pensions de retraite, elles, auront freiné le déploiement de solutions énergétiques renouvelables et responsables. Un poids considérable et moralement discutable qui repose sur les épaules de tous les actifs, sans que ces derniers soient au courant pour autant.
Les épargnants laissés dans le flou
C’est sur ce point précis que le bât blesse : personne n’est vraiment au courant de tout ce qui se trame derrière le rideau.
Les épargnants choisissent leur complémentaire et cotisent. Point.
Ils se laissent séduire par des discours sur la performance, sur la fiscalité, sur la facilité de gestion, mais l’argent est toujours présenté sous une forme décontextualisée. Il existe dans un futur lointain, celui de la retraite, et on lui retire ses capacités d’impact dans le présent.
Ce qui permet de supprimer toute idée de responsabilité.
Ce qui engendre une surprise générale quand, toujours d’après l’étude de MakeMyMoneyMatter, deux des principaux bénéficiaires des investissements provenant des fonds de pension sont les géants pétroliers BP et Shell. Ces mêmes géants qui ont récemment abandonné toute motivation à respecter les accords de Paris, et ont surenchéri sur l’exploitation des énergies fossiles.
Mais ça, encore une fois, les épargnants n’en savent rien. Ils ignorent qu’individuellement, ils financent jusqu’à 3096£, en moyenne par cotisant, au sein des énergies fossiles. Ils ignorent être pris en otage, quelles que soient leurs convictions, leurs envies ou leur stratégie d’investissement.
Car, oui, la population est réellement engagée.
Selon un sondage Opinium Research, 61% des actifs britanniques sont favorables à l’idée “d'empêcher les banques, les assureurs et autres fournisseurs de services financiers de supporter et de profiter de l’économie basée sur les énergies fossiles”.
Pourtant, ces mêmes actifs se retrouvent à financer ce qu’ils souhaitent combattre, via leurs pensions de retraite. Un décalage assez violent entre la volonté d'une partie de la nation et les politiques mises en place par le gouvernement. Une situation qui semble difficilement imaginable en France.
Cela serait un peu comme forcer une loi unanimement rejetée en utilisant des raccourcis législatifs qui permettent de passer entre les mailles du filet démocratique. Un concept clairement étranger aux habitudes hexagonales.
L’importance absolue de reprendre le contrôle de son épargne
On ne va pas se mentir, la situation britannique ne pourrait pas s’appliquer en France, uniquement car notre système de retraite est basé sur la répartition. Mais pour autant, le cas de figure existe bel et bien pour les systèmes et produits financiers privés.
Oui oui, on pointe le doigt directement sur votre banque. Ou tout organisme proposant des services d’investissement. Dans tous les cas, la logique est la même : sans intervention personnelle, sans recherche de spécificité, sans engagement particulier, si vous ne savez pas exactement ce que votre épargne finance, c’est qu’elle finance -au moins en partie- les énergies fossiles.
C’est le statut par défaut, la base de travail. La case départ.
Et c’est peut-être ce qui est le plus dommageable. L’impact ne vient que par la volonté, qui elle-même ne peut venir que par la prise de conscience… qui elle-même est uniquement rendue possible par la connaissance.
Alors pas le choix, il faut marteler le discours, diffuser et prêcher la bonne parole. Partager les solutions alternatives pour décarboner son épargne, vendre les mérites d’une autre finance, d’une autre capitalisation, qui peut être éthique et engagée (si si, vraiment) et un peu candidement, il faut aussi garder espoir.
Car si rendre le monde plus responsable est une mission très, très compliqué -surtout quand une partie de l’industrie tient absolument à ne pas lâcher prise-, chaque mot, chaque révélation et chaque divulgation des dessous du système permettent d’avancer, doucement mais surement, vers un horizon moins trouble.