C’est un argument qui refait fréquemment surface et qui divise toujours autant la communauté écologique. Un peu comme l’utilisation d’autotune, la roulette au babyfoot ou bien le débat pain au chocolat / chocolatine : personne n’est vraiment d’accord et chacun campe sur ses positions.
Cette idée, c’est celle d’une écologie pragmatique qui doit ouvrir les bras à tout soutien affiché, qu’il soit légitime, opportuniste ou même exagéré.
Prenons un exemple concret : imaginez le constructeur automobile Hummer lancer une gamme de véhicules électriques en expliquant à quel point un SUV de 4 tonnes (qui nécessite littéralement un permis poids lourd pour être piloté) fera du bien à la planète.
Il y a dès lors deux manières de réagir :
- La Greta Thunberg : en montant au créneau contre ce qui est ouvertement une tartufferie de compétition
- La Mahatma Gandhi : en se disant que si effectivement il y a de l’excès, à la fin de la journée le véhicule est quand même électrique, ce qui réduit drastiquement ses émissions en "utilisation"
Mais, en s'éloignant cette fois de la caricature, la question se pose vraiment : après tout, n’est-ce pas l’effort et la production finale qui comptent le plus ? Bien avant l’intention ?
Si le plus grand producteur de charbon au monde décide de financer des centaines d’éoliennes pour verdir son image, à la fin, le plus important n’est-il pas le fait que le monde va bénéficier d’un boost d’énergie propre ?
Le problème, c’est que ce n’est jamais aussi simple.
Le bon, la brute et l’écolo
Pour rappel, le greenwashing -ou “écoblanchiment” en bon françois- est le fait d’utiliser des actions écologiques pour améliorer son image. On parle donc de greenwashing quand on se “lave”, on se couvre de vert.
Il s’agit le plus souvent de stratégies de marketing ou de communication pour donner l'impression d’être engagé dans des pratiques durables, alors que les engagements mis en avant sont insignifiants comparés aux dégâts créés par l’activité normale de la société. Le greenwashing trompe donc non seulement les consommateurs qui cherchent à faire des choix plus responsables, mais il sape également les efforts véritables de protection de l'environnement en détournant l'attention des problèmes réels et en entravant la véritable transition vers une économie durable.
Ainsi, l’écoblanchiment est une sorte de danse périlleuse où la rhétorique environnementale se mélange à l'hypocrisie commerciale, laissant les consommateurs dans une forêt de fausses promesses et de vertus écologiques illusoires.
Et les exemples concrets ne manquent pas :
- Volkswagen : en 2015, Volkswagen a manipulé les tests d'émissions de gaz d'échappement de ses véhicules diesel afin de faire la promotion de leurs valeurs écologiques alors qu'en réalité, ces véhicules émettaient beaucoup plus de polluants que ce qu'ils prétendaient.
- BP (British Petroleum) : BP a mené une campagne publicitaire coûteuse vantant ses efforts pour devenir une entreprise "Beyond Petroleum" (au-delà du pétrole) alors qu’au même moment… La majeure partie des activités de BP continuait de dépendre du pétrole et du gaz.
- H&M : la chaîne de magasins de vêtements avait tenté avec sa gamme "Conscious" de surfer sur l’angle écologique tout en continuant de produire massivement des articles de mode à bas prix. Une stratégie qui entraîne une consommation excessive et une production de déchets considérable.
Plus récemment, même Apple a été critiqué pour sa masterclass absolue en matière de greenwashing. Le géant Californien n’hésitant pas à se proclamer neutre en carbone -ici aussi à grands coups de vidéos qui feraient rougir M. Night Shyamalan- dans la production de ses nombreux produits.
Le problème ? Sans réglementations ni appellations officielles pour ce qui touche au “carbon neutral”, chaque entreprise peut sélectionner ce qu’elle veut bien retenir pour faire ses calculs. Et en tant qu’Apple, annoncer sa nouvelle coque recyclée comme étant responsable passe mieux que de considérer une supply chain qui fait appel à plus de 400 fournisseurs dans 30 pays.
Le greenwashing en action.
Le cas du géant du pétrole qui se reconvertit aux énergies responsables
Des logos repeints en vert, des renommages plus ou moins subtils et des campagnes de communication grandiloquentes qui parlent de “neutralité carbone” sur un arrière-plan d’éoliennes et d’enfants qui jouent avec des chiots… En ce moment, les grands groupes pétroliers se donnent à fond pour convaincre l’univers connu de leur bonne foi.
D’ailleurs, selon Oxfman, TotalEnergies dédiait en 2021 un tiers de son budget marketing au greenwashing, soit la coquette somme de 52 millions d’euros par an pour des sourires Colgate et des spots de pub larmoyants. Au même moment, le géant français renchérissait en planifiant l’investissement de plus de 16 milliards de dollars par an dans l’augmentation de sa production de pétrole, l’entretien de ses installations et l’exploration de nouveaux gisements. La neutralité carbone, c’est tout simplement magnifique.
Mais il y a pire : une étude Greenpeace montrait récemment que les 12 plus grandes sociétés pétrolières Européennes ne créent en moyenne que 0,3% d’énergie renouvelable sur l’ensemble de leur production annuelle. Bien loin des différentes promesses de transition énergétique et de financement massif de solutions vertes et respectueuses de l’environnement.
Ainsi, dans ce cas de figure, le débat ne se pose même pas. Il ne s’agit pas d’entreprises qui surcommuniquent en transformant un engagement modéré en prise de position magistrale : il n’y a en réalité aucune volonté de s’engager, et ce dès le départ. Seulement des artifices marketing pour donner l’illusion du contraire.
Pourtant, si les grands pontes s’inscrivent clairement dans le n’importe quoi, là, dans leur coin et sans faire de bruit, de nombreux acteurs historiquement liés au pétrole transitionnent réellement vers une offre 100% responsable.
Le premier exemple qui nous vient en tête est ERG, ou Edoardo Raffinerie Garrone. L’entreprise Italienne était totalement dédiée aux énergies fossiles avant d’achever une “transformation radicale de ses activités” au début des années 2000.
Pourtant, il n’a pas été question de révélation divine ou de discours moralisateur. ERG a simplement réalisé ce que tout le monde attend aujourd’hui de TotalEnergies : un désinvestissement progressif de ses actifs pétroliers pour les passer sur des activités renouvelables. Le tout sans effusion de pathos et sans fausses valeurs écologiques brandies à tout va.
Et pour conclure la petite histoire, aujourd’hui, ERG, c’est un chiffre d'affaires et des bénéfices nets en hausse, une santé financière au top, des projets dans le monde entier… et c’est l’une des entreprises que vous allez soutenir en ouvrant un compte chez Caravel !
Le bon greenwashing ?
Dale Vince est le fondateur d’Ecotricity, un des leaders britanniques de l’énergie verte. La société est spécialisée dans la vente d'énergie responsable à l’aide d’un parc d’éoliennes qui produit près de 90 mégawatts.
Donc niveau écologie, il a fait ses gammes.
Et le bonhomme est pertinent dans son domaine.
Mais pour lui, le greenwashing n’est pas un problème. Au contraire, c’est même une bonne chose comme il l’explique à CNBC :
« [Le greenwashing] est partout. Mais vous savez, je le prends comme une bonne chose. Les gens me disent : 'oh, il y a du greenwashing, c'est une mauvaise chose'. Et je leur dis que non, parce qu'il y a 10 ans, ces entreprises qui font du greenwashing aujourd'hui s'en fichaient totalement des enjeux écologiques »
« Maintenant, ils s'en soucient. Ils voient qu'ils doivent faire quelque chose, alors ils font du greenwashing. Pour moi c'est un progrès car c’est mieux que rien. Et je l’ai déjà vu arriver : j’ai vu des entreprises commencer par du greenwhashing pour ensuite passer à quelque chose de concret »
Ce point de vue est intéressant car il permet d’expliquer le pourquoi de l’écoblanchiment.
Pour le pratiquer, il faut avoir compris que l’écologie “attire”, pas dans le sens ou quelque chose de bio est interprété comme meilleur, mais dans le sens où les acheteurs, les clients et le public sont traditionnellement sensibles aux réactions émotionnelles qu’ils éprouvent.
Et le fait d’acheter ou de soutenir un produit qui est “dans le camp du bien” provoque cette émotion.
Une entreprise qui greenwash a donc déjà réalisé la moitié du chemin.
Elle sait qu’elle doit changer, s’adapter, mais elle n’est pas encore prête à le faire (même si elle souhaite arnaquer le monde entier en donnant l’impression qu’elle a bien changé).
Et même avec le plus grand pessimisme au monde, on ne peut qu’avouer que cela reste mieux que l’entreprise voisine, qui campe sur ses positions et ne veut simplement pas entendre parler de climat ou de réduction des déchets.
La question du “gatekeeping” écologique
“Je suis désolé mais seuls les vrais puristes sont capables d’apprécier l’incroyable tessiture de Michel Sardou”
“Quoi tu joues au Snake sur un 3310 à la place de manger des cartes graphiques ? Tu n’es clairement pas un vrai gamer”
“Il n’a même pas de sarouel, clairement il ne peut pas faire partie de notre troupe de théâtre”
Ça, c’est du gatekeeping, le fait que certaines personnes se positionnent en tant que gardiens d’une activité, à laquelle ils refusent l’accès aux personnes ne montrant pas certains signes ou stéréotypes.
C’est l’apologie de l’entre-soi, en quelque sorte.
Et même lorsque l’on parle d’écologie, ça existe. Principalement dans le sens ou l’environnementalisme est souvent considéré comme étant un interrupteur : il est activé ou non, sans entre deux. Si bien que même dans le camp vert, beaucoup se crêpent le chignon pour savoir qui est plus responsable que son voisin.
Un son de cloche identique lorsque l’on passe au spectre sociétal. On parle de plus en plus de la nécessité de dépolitiser l’écologie ou plutôt la question climatique, qui part son positionnement actuel génère de façon automatique une certaine réticence au sein des camps opposants. Cela semble effectivement indispensable pour créer un vrai mouvement global, intergénérationnel et progressiste.
Sur ce point, le greenwashing permet au moins de parler d’écologie, via des personnes qui, en temps normal, n’en parleraient pas ou ne s’y intéresseraient pas.
Et ça, c’est déjà un petit miracle en soi.