Quand on parle de protection sociale des indépendants il y a une personne à côté de qui on ne peut pas passer. Cette personne, c’est Hind Elidrissi, fondatrice de Wemind, mutuelle pour les indépendants mais aussi d’indépendants.co, le syndicat des indépendants. J'ai assisté à l’une de ces conférences et échangé avec elle nous a permis de creuser le statut d’indépendant, son histoire, ses actualités mais aussi ses perspectives futures. Bonne lécture.
Peux-tu te présenter s’il te plait ?
Lorsque j’étais salariée, j’ai bénéficié de tous les avantages du salariat. Puis, j’ai voulu recréer ces avantages pour les indépendants. Mon but était de créer quelque chose dans un domaine que je connais, notamment l’assurance, pour en faire bénéficier au plus grand monde et pour les indépendants.
Dans mon travail, je veux apporter des valeurs humaines, de la bienveillance et de la responsabilité. C’est ce qui fait la spécificité du produit. Quand on réfléchit à la question du travail, le travail sert à gagner sa vie. Quand on fournit un produit ou service, les clients apportent une sorte de contribution pour ce que l’on fait. C’est comme ça que j’ai conçu Wemind. Et cette vision se voit à travers le logo : c’est un cercle, une planète qui bouge avec des choses qui circulent. C’est la philosophie que l’on souhaite transmettre chez Wemind.
Comment es-tu entrée dans ce milieu de l’indépendance ?
Quand je faisais mes études, un seul cours m’intéressait : l’entrepreneuriat. « Tu as l’impression que tu peux prendre une feuille blanche et dessiner ce que tu veux ». C’est ce qui m’a passionné dans l’entrepreneuriat, c’était le seul cours auquel j’avais réellement envie d’assister.
En fonction de la période à laquelle on fait ses études, il y a des tendances : salariés, entrepreneurs, etc. Actuellement, c’est plutôt la tendance à l’entrepreneuriat. Mais tout le monde n’est pas fait pour être entrepreneur. Si tu es fait pour être entrepreneur tu le sais.
Lorsque j’étais salariée, je n’ai jamais remplacé quelqu’un dans une boîte, c’était toujours des nouveaux postes créés. C’est aussi ce facteur qui a influencé mon choix de devenir indépendante.
Pour toi, l’entrepreneuriat est plus ancien qu’on ne le pense ?
« Le travail indépendant existe depuis bien plus longtemps que le salariat ».
Le salariat est une sorte de compromis dans lequel on sait que l’on doit travailler pour quelqu’un, on est dépendant de cette personne, donc on s’est dit autant l’écrire sur un papier et en faire un contrat pour garantir d’être payé tous les mois. C’est une modalité du travail. Mais dans d’autres pays par exemple, il y a des agriculteurs qui ont chacun leurs terres et sont indépendants. Aujourd’hui, on est dans une société où on est de plus en plus interdépendant de plein de choses. C’est pareil pour le syndicat, les indépendants ont inventé le syndicalisme.
Il y a un livre qui décrit un modèle d’indépendance ancien de Claude Michelet, « des grives aux loups ». Il raconte la vision du travail au 19e siècle. C’est l’histoire d’une famille qui vit en Corrèze, ils sont dans un village où ils ont une ferme qu’ils cultivent. Ils ont un style de vie de paysan, mais très largement auto-suffisant (pas de marché, pas bcp d’habits, etc.), le travail se fait au champ. Dans cette saga, on suit la famille sur plusieurs générations, ils ne sont pas du tout dans notre mode de consommation à nous, ils sont très autonomes. Ils vont perdre cette autonomie, devoir passer aux machines pour avoir des débouchées. L’équilibre du début est détruit, mais il a existé. Ce modèle n’est pas déconnant, on est juste dans une situation différente aujourd’hui.
Est-ce que l’interdépendance est liée au monde actuel ?
Oui à la mondialisation, au numérique, à l’urbanisation. La France a longtemps été un pays rural, mais aujourd’hui beaucoup moins. De nos jours, même si l’on est un freelance qui marche bien, si le boulanger d’en bas ne s’en sort pas, n’est pas approvisionné, on se retrouvera en difficultés. On est dans un paradigme vraiment différent de ce que l’on avait à l’époque.
Comment ça va évoluer d’après toi ? Quelles vont être les tendances futures ?
Je pense qu’il faut essayer de se raccrocher à ce qui ne change pas. Si on prend la pyramide de Maslow : la première ligne sont les besoins humains, qui vont toujours rester. Après, il faut voir quels sont les signaux faibles de ce qui se passe autour de soi. Dans notre environnement actuel, ce sont les technologies et le climat qui pèsent sur le quotidien. Le salariat est un modèle social de notre époque, mais aujourd’hui on n’a pas encore défini de modèle social, les indépendants ont leur part à jouer dans cette définition de modèle. Toutes ces questions doivent se régler, mais on ne sait pas encore comment.
Que penses-tu du futur des carrières linéaires ou non linéaires ?
C’est amené par le biais de la perception individuelle. Il ne faut pas se demander si on veut être dans la même boîte toute sa vie, mais si elle voudra de nous toute notre vie.
Je ne pense pas que le salariat soit mort, il y a de grandes chances que ça reste le dominant du travail. Les carrières non linéaires correspondent au fait de changer de boite ou de statut au cours de sa carrière. En tant que salariés ou indépendants, les deux se rapprochent, les deux statuts ont la possibilité de faire des carrières non linéaires.
Ce n’est pas l’individu qui décide de ses conditions de vie, c’est plein de choses autour de soi et les éléments qui sont à notre disposition. Quand on cherche du travail, on cherche ce qui est disponible à l’instant t. Le métier que l’on exerce n’est pas forcément celui dont on a envie, mais ce qui est possible. Comme ce n’est pas nous qui décidons, on essaye de comprendre et de s’organiser en fonction de l’environnement et de son évolution.
Aujourd’hui on est dans un monde dans lequel il est possible de décider ce que l’on veut faire, mais c’est lié à notre environnement. Exemple : les développeurs informatiques sont en situation de chômage négatif, ils peuvent donc devenir indépendants et proposer des prix élevés, mais si un jour le marché devient saturé, ils ne pourront plus vendre aussi cher, donc ils choisissent de vendre cher mais c’est lié à l’environnement et au moment. Dans cette situation c’est intéressant de se faire un plan de carrière. Les développeurs pour moi c’est l’aristocratie du travail indépendant.
Pourquoi tu disais que les indépendants ont inventé le syndicalisme ?
Les syndicats d’indépendants ne s’appellent pas syndicats. En exemple de syndicats d’indépendants on a le Medef ou l’ordre des médecins, qui existe depuis très longtemps. A l’époque, les tailleurs de pierres avaient leurs syndicats. Dans ces syndicats, on gère toutes les problématiques liées au travail : comment on rentre dans le métier, comment on apprend le métier, comment on structure le marché pour les clients, comment on garantit le métier, etc.
Avec tous ces exemples, que l’on connaît, on n’a pas l’habitude de les nommer syndicats, mais ce sont des syndicats d’indépendants.
C’est pour ça que tu as fait le choix de te nommer syndicat ?
Oui, parce qu’on veut installer des nouveaux droits pour les indépendants, et pour ça il faut passer par un syndicat. Le concept de syndicat, tout le monde pense que ça a été inventé par les salariés mais ce n’est pas le cas.
Le syndicat existe depuis que le travail existe, et remplit toutes ces fonctions : l’accès à la profession, la structuration du marché, la garantie pour les consommateurs d’avoir un service de qualité.
D’ailleurs indépendant.co n’est pas tout à fait un syndicat, c’est un néo-syndicat, c’est une structure qui est dans une réalité de « think tank ». La situation des indépendants est tellement en changement qu’un seul syndicat ne suffira pas et qu’il faut aussi créer plein de choses autour des indépendants. C’est pour ça qu’on le qualifie de néo-syndicat, parce qu’on va produire des idées de lois pour faire avancer la situation des indépendants.
Quelle est la brique que vous apportez à côté des autres syndicats existants ?
On s’adresse à l’intégralité des indépendants, comparé aux autres syndicats qui sont plus restreints. L’autre caractéristique est dans notre méthode de travail : le numérique change le quotidien et a des impacts importants. On est dans un changement de système, il faut faire de nouvelles choses. Notre spécificité est de laisser les indépendants s’exprimer sur le sujet et les changements.
Quelle sera la place des acteurs qui aident les indépendants dans les années à venir ?
Il n’y a pas vraiment de réponse à cette question à court terme. Comme dit Samuel Durand : « la meilleure façon de connaître le futur c’est de le créer ». Chez Wemind on essaye d’apporter des services aux freelances, de la façon la plus éthique possible. Et pour le syndicat, le but est de porter la voix des indépendants dans un contexte où il y a beaucoup de changement. Mais on ne sait pas quelle sera la place de ces entreprises.
On est dans un environnement très complexe, où l’objectif des syndicats est d’aborder la complexité des choses.
Lien de notre vidéo : https://youtu.be/m8Q6_CRFT38