Woodrow Wilson n’est pas forcément le président des États-Unis le plus connu, mais au moins, le prix Nobel de la Paix 1919 aura marqué l’histoire avec une citation légendaire :
“Si vous voulez vous faire des ennemis, essayez de changer quelque chose.”
Car le changement, ce n’est pas seulement maintenant, c’est surtout une question de conflits perpétuels, entre les partisans qui militent pour le maintien et la sécurisation du passé, et ceux qui veulent voir les choses évoluer, parfois avec fracas.
En écologie, c’est la même rhétorique : à deux-trois climatosceptiques près, tout le monde est d’accord sur le fait que l’industrialisation massive du monde a eu, a et aura un impact sur climat. Que cet impact aura des conséquences environnementales potentiellement catastrophiques, et qu’il est donc nécessaire de s’adapter pour à minima contrôler la situation, et accessoirement éviter le développement d’un monde invivable.
Le problème donc, c’est la transition. L’acte de bouleverser l’ordre, et donc certains intérêts.
C’est cette opposition qui paralyse les pays occidentaux, ceux qui possèdent le pouvoir économique d’entreprendre les changements les plus impactants.
Pour tout un tas de raisons, les grandes puissances sont donc réticentes à l’idée de chambouler leurs structures énergétiques mais pour autant… elles ne sont pas les seules à pouvoir donner de l’impulsion au mouvement.
Car bien qu’ils aient été laissés hors du débat -ou réduits à des rôles mineurs- jusqu’à présent, les pays émergents pourraient finalement incarner le renouveau énergétique tant attendu à l’échelle mondiale.
Et si c’était finalement ça, la solution ultime ?
Croissance économique et développement durable
La croissance est toujours liée à l’énergie. On pourrait croire à un titre d’un article de Jean-Marc Jancovici, mais cela reste une vérité. Ainsi, la croissance économique rapide observée dans de nombreux pays émergents a conduit et conduit encore aujourd’hui à une augmentation significative de la demande énergétique. En Inde par exemple, on attend une progression de 35% des besoins du pays en matière d’énergie d’ici 2030, ce qui est absolument colossal.
L’origine de cette énergie devient donc une problématique mondiale, car l’expansion économique s'accompagne toujours d'une urbanisation accélérée qui elle-même engendre un boost de consommation d'énergie par habitant, créant de ce fait un cercle vicieux énergivore.
En conséquence, les pays émergents deviennent des moteurs majeurs de la demande globale d'énergie, remodelant ainsi les impératifs de la transition énergétique.
Ressources naturelles : les pays émergents possèdent les clés
Si TotalEnergies, Gazprom ou Energy China viennent piller/investir en Afrique en parsemant gazoducs, centrales à charbon et mines d'uranium un peu partout, c’est logiquement parce que le berceau de l’humanité détient une part substantielle des réserves mondiales de certaines ressources énergétiques.
Et la situation est similaire pour le Brésil, l’Inde, le Venezuela, l’Afrique du Sud ou l’Argentine qui regorgent tous de ressources naturelles et de matières premières, traditionnellement exploitées par d’autres, ou alors revendues à prix d’or (ou en échanges d’autres services).
Sauf que ce rôle de fournisseur officiel satisfait de moins en moins certaines puissances en devenir qui, récemment à l’occasion du sommet du BRICS à Johannesburg, ont décidé de contre-attaquer : l’alliance qui jusque là liait le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud va accueillir 6 nouveaux membres, l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis dans une sorte de doigt d’honneur diplomatique clairement adressé à l’Occident.
Mais derrière tous ces enjeux économiques et d’influence géopolitique se cache une ambition écologique certaine… (même si ok, elle reste toute relative, étant donné que la Chine -qui est à la fois le pays qui pollue le plus et celui qui soutient le plus la transition énergétique- porte le BRICS à elle-seule).
Car voilà, la bonne nouvelle, c’est que ce décalage dans l’industrialisation massive permet aux pays émergents de tirer leur épingle du jeu face à un monde occidental embourbé dans l’inaction.
Face à un pays à structurer, face à une demande qui explose, et surtout face à une future place de puissance mondiale à prendre, cela n’a pas vraiment de sens de miser sur le passé pour regarder l’avenir. Et ça, nombre d’États commencent à le comprendre.
Green bonds pour tous
Il y a environ un an, le FMI publiait une étude sur l’importance d’embarquer les pays émergents dans la lutte contre le réchauffement climatique et le développement d’une industrie énergétique responsable à échelle mondiale. Une ambition qui était déjà en mouvement à l’époque, en considérant l’augmentation explosive du nombre de “Green & ESG Bonds” émis par les pays en développement.
Ces Green Bonds, se sont des obligations (donc des emprunts obligataires) créés par des entités publiques pour s’assurer du financement de projets purement écologiques, contribuant à soutenir la transition.
Et oui, ils se multiplient au sein de pays comme l’Inde, l’Indonésie, le Brésil, le Chili, le Pérou, le Mexique, la Malaisie, la Colombie ou l’Afrique du Sud.
Au total, rien que sur l’année 2021, plus de 103 milliards de dollars ont ainsi été prêtés pour financer le développement d’industries écologiques dans les pays concernés. Par comparaison, c’est quasiment 3 fois plus que la moyenne des 5 précédentes années.
Pour autant, cette ruée vers la finance verte n’est pas purement motivée par une volonté de rendre le monde plus responsable : si les investisseurs sont friands de ces green bonds, c’est avant tout parce qu'ils sont performants économiquement parlant et ancrés dans le futur.
Les pays émergents face à la transition
C’est simple, depuis 2019, les actifs ESG offrent des rendements en moyenne supérieurs à ceux des actifs de référence : on parle en effet de 1.5 à 2.1 points de pourcentage supplémentaires.
Ces mêmes actifs sont soutenus par la volonté de diversification des investisseurs, même si le financement de projets au sein des pays émergents peut également paraître risqué pour de nombreuses raisons.
Tout cela explique pourquoi, depuis 2010 environ, les principaux investissements dans les différents secteurs des énergies renouvelables se sont progressivement déplacés de l’Europe et des États-Unis vers les puissances du BRICS.
De ce fait, le soutien économique des pays émergents dans le contexte de la transition énergétique est de plus en plus considéré comme une stratégie judicieuse.
Un “nouveau” nouveau monde
Plusieurs pays émergents ont déjà attiré des investissements conséquents dans le secteur de l'énergie propre. Par exemple, l'Inde a mis en place l'Alliance Solaire Internationale pour promouvoir l'énergie solaire dans les régions équatoriales. La Chine est devenue le leader mondial de l'éolien grâce à des investissements massifs. Et ce n’est pas tout :
L'Éthiopie : énergie hydraulique et éolienne
L'Éthiopie a investi massivement dans les énergies renouvelables, en particulier dans l'énergie hydraulique et éolienne. Le fameux grand barrage de la Renaissance a récemment été mis en production, devenant le plus grand barrage hydroélectrique d'Afrique et fournissant 5000 mégawatts d'électricité propre à la région.
Le Brésil : bioénergie et énergie solaire
Le Brésil est devenu un leader mondial dans la bioénergie, notamment via l’utilisation de l'éthanol à base de canne à sucre pour les véhicules. Le pays a également investi massivement dans l'énergie solaire, tirant parti de son ensoleillement abondant pour développer des projets d'énergie photovoltaïque à grande échelle.
L'Afrique du Sud : énergie solaire à concentration
Même son de cloche en Afrique du Sud : le pays s'est engagé dans la production d'énergie solaire thermique à concentration pour répondre à sa demande croissante en électricité. De tels projets se développent un peu partout, comme la centrale solaire de KaXu Solar One.
Le Mexique : énergie éolienne et géothermique
Le Mexique a connu une croissance significative de la capacité éolienne installée, notamment dans la région d'Oaxaca, où réside la plus grande installation d’Amérique Latine.
L'Indonésie : géothermie et bioénergie
L'Indonésie s'est quant à elle tournée vers la géothermie pour exploiter la chaleur de notre planète afin de produire de l'électricité propre. Le pays s’est aussi imposé un objectif ambitieux de réduction d’émissions de gaz à effet de serre en misant sur le recyclage et la transformation de résidus agricoles en bioénergie.
Ainsi, pendant que les grandes puissances se tiraillent, les pays émergents se sont mis au travail et ont identifié les enjeux de la transition énergétique comme un vecteur de croissance inespéré.
Bien sûr, tout est loiiiiin d’être parfait tant la dépendance actuelle aux énergies fossiles, les instabilités politiques et l’incertitude générale maintiennent une bonne zone d’ombre au-dessus de cette mouvance géante ; mais l’optimisme des investisseurs et le développement de solutions technologiques innovantes contrebalancent ces doutes.
Alors si on ne peut pas vraiment parler de nouvel “el dorado”, la prise de conscience (qu’elle soit motivée par l’opportunisme ou non) et le passage à l’action des pays émergents en matière d’investissement dans les énergies renouvelables reste une excellente nouvelle.
Une nouvelle qui pourrait bien façonner le monde de demain.