Sur votre réseau social préféré, ils apparaissent sans prévenir et tous adoptent les mêmes codes : costume ultra cintré, montre Suisse, voiture du luxe et syntaxe très approximative. Mais l’agression de la langue française ne pèse pas lourd quand le fond dépasse la forme.
Car en moins d’une minute on vous propose de devenir millionnaire et de prendre votre retraite à 30 ans. Tranquille.
(Tout cela contre le prix d’une simple formation en PDF)
Mais le pire, c’est que ce discours peut parfois résonner en nous car, honnêtement, tout le monde y a déjà pensé. Nous avons tous effleuré l’idée de dire stop et de tout lâcher en cas d’énorme rentrée d’argent, qu’elle provienne d’investissements malins ou d’un énorme coup de chance sponsorisé par la FDJ.
On y pense donc, mais en réalité, est-ce possible et si oui, est-ce que cela vaut vraiment le coup d’ignorer le système actuel pour décider de sa date de départ à la retraite soi-même ?
Retraite anticipée : les vrais cas de figure
Attention, ici, nous parlons du choix volontaire de mettre fin à sa carrière bien avant l'âge de départ légal à la retraite (64 ans), en considérant par exemple que les gains acquis pendant la vie active sont tels qu’une décote dans sa pension n’aurait que peu d’impact.
Cela ne concerne donc pas la retraite anticipée encadrée par la loi, qui repose sur des conditions très précises qu’il est toujours bienvenu de rappeler :
La retraite anticipée pour invalidité
En cas d’invalidité, il est parfois possible de prendre sa retraite dès 55 ans, à taux maximum. Selon la situation, la nature de l’invalidité et d’autres facteurs, une durée de cotisation minimale peut être toutefois demandée, ou non.
La retraite anticipée pour handicap
Dans le secteur privé, certains aménagements existent en cas d’handicap avéré :
- Un départ dès 55 ans en cas d’incapacité permanente au moins égale à 50 % (sous conditions)
- Un départ dès 60 ans en cas de d’incapacité permanente au moins égale à 10 % (sous conditions)
- Un départ dès 62 ans en cas d’inaptitude au travail
La retraite anticipée pour carrière longue
La réforme des retraites a changé énormément de choses, dont les conditions d’accès au départ anticipé en cas de carrière longue. Aujourd’hui, suite à l’application de la loi, le barème est le suivant :
- 58 ans en cas de début de carrière avant 16 ans
- 60 ans en cas de début de carrière avant 18 ans
- 62 ans en cas de début de carrière avant 20 ans
- 63 ans en cas de début de carrière avant 21 ans
La retraite anticipée pour raison familiale
Auparavant, les fonctionnaires parents d’au moins 3 enfants pouvaient demander une retraite anticipée, mais ce dispositif a été supprimé. Cependant, si les conditions ont été atteintes avant 2012, alors il est toujours possible de prendre sa retraite à tout moment.
Pour en savoir plus, direction le site de l’État.
Enfin, il existe aussi le système de retraite progressive, qui consiste à doucement transitionner de la vie active à la retraite en diminuant graduellement sa charge de travail. Mais ce dispositif n’entre pas vraiment dans la logique d’un arrêt volontaire et définitif de toute activité.
Indépendance financière et liberté économique
En mentionnant le manque de confiance absolu de la Génération Z vis-à-vis de la retraite d’État nous nous sommes forcément arrêtés sur l’élément principal, l’idéologie qui a tout fait basculer : désormais, la retraite n’est plus perçue comme quelque chose qui se “débloque”, que l’on obtient à la force de son abnégation. Elle n’est plus un horizon ou une finalité très encadrée, non, elle se définit, se module et se prépare.
Tout cela qui engendre deux contrecoups majeurs :
- On oublie l’universalité : décorrélée de l’État, logiquement, la retraite n’a pas à se limiter à une question d'âge, voire de cotisation. Elle est libérée. Elle peut se prendre à tout moment.
…Mais est-ce pour autant une bonne chose ? L’adoption d’une méthode entièrement basée sur la capitalisation a des conséquences assez désastreuses sur l’amenuisement des inégalités sociales et économiques. Cela crée une retraite à deux vitesses où les moins aisés sont condamnés à le rester, tandis que seuls les actifs les plus privilégiés auront les moyens de financer leur future pension.
- On peut dicter ses propres règles, même si cela peut s’avérer coûteux : l’obligation de s’occuper de sa retraite soi-même engendre une pression très difficile à assumer, surtout lorsqu’elle est dirigée vers des actifs en début de carrière.
Pour aller plus loin, cela pourrait aussi mener à une recherche absolue de la meilleure performance possible… à court terme. Donc une recrudescence d’investissements au sein des énergies fossiles, ou des secteurs problématiques qui aujourd’hui prospèrent tant bien que mal, mais sont amenés à disparaître dans un horizon lointain.
Pas de doute possible donc, un tel mouvement aurait des conséquences politiques, économiques, sociales et écologiques majeures et sans aucun doute désastreuses.
Pour autant, l’idée n’est pas forcément d’aller contre cette logique, mais plutôt de l’affiner, et, avant toute chose, arriver à mieux l’expliciter.
Car si on voit effectivement de plus en plus de discours émerger sur le fait de prendre sa retraite à 30, 40 ou 50 ans, et de construire sa carrière, son projet d’investissement ou sa vie entière avec cet objectif en ligne de mire, parle-t-on réellement de la vraie retraite dans ce cas de figure ?
Non. L’idée n’est pas de demander et de toucher sa pension à 30 ans (que du coup on peut imaginer culminer à 30 centimes mensuels), c’est plutôt d’accumuler aussi rapidement que possible un capital qui permet d’arrêter de travailler au sens premier, pour vivre de ses revenus passifs, dividendes, incantations à Cthulhu…
Sauf que même dans ce cas de figure, le jeu n’en vaut pas forcément la chandelle.
Les idées reçues sur la retraite anticipée
Déjà, il semble nécessaire de revenir sur quelques clichés qui ont, encore aujourd’hui, ont la vie dure lorsque l’on parle de retraite et plus spécifiquement d'âge de départ.
- “On peut prendre sa retraite quand on veut”
Malgré les appels du pied pour “prendre sa retraite à 30 ans” dans les faits, c’est logiquement impossible. Mis à part quelques cas particuliers et les éléments cités précédemment sur la retraite anticipée, tout se débloque qu’à partir de 62 ans. Vous ne pouvez simplement pas prendre votre retraite avant.
- “Je vais toucher exactement ce que j’ai cotisé”
De nombreuses aides sont effectivement basées sur un système de rétribution : en ouvrant vos droits, vous obtenez ce que vous avez plus ou moins cotisé. La retraite, c’est un chouïa différent dans le sens ou, comme nous l’avons expliqué, elle repose sur une idée d’intergénérationnalité solidaire : les actifs financent en direct la retraite des non-actifs. Donc il n’y a pas d'interprétations au prorata de ce qui a été cotisé mais des moyennes reposant sur des calculs complexes, reposant tous sur la base d’un nombre de trimestres minimums à respecter.
Pas assez de trimestres validés, pas de chocolat.
- “De toute façon je n’aurai pas de retraite”
4 jeunes sur 10 pensent qu’ils n’auront tout simplement pas de retraite. Et ça, c’était en 2017. Avant les réformes.
Si les sujets d’indépendance financière sont si populaires en ce moment, ce n’est pas parce que toute une partie de la population s’est réveillée aux arguments de la finance, non, c’est parce que tout le monde est persuadé que le pire est encore à venir.
Pourtant, le système ne va pas s’écrouler. Il va évoluer, pas pour le mieux, mais il se maintiendra. Et si l’ambition de préparer et d’anticiper sa retraite est louable (surtout pour nous), le faire pour des raisons d’impact, de conviction, de reprise de son pouvoir économique ou de sécurisation sera toujours plus bienvenu que de le faire par peur, crainte et pour le coup, désinformation.
Millionnaire et chômeur, 7 ans d’activité pour arrêter de travailler
L’année dernière, le nombre de millionnaires Américains touchant des allocations chômage explosait. Fin de la phrase, et il n’y a aucune blague ni fraude à la CAF.
La raison n’est pas choquante pour autant : dans un monde post-Covid qui a beaucoup licencié, même les millionnaires ont dû encaisser les mauvais coups et faire appel à des prestations sociales souvent -et à tort- pensées comme étant réservées aux plus démunis.
Pourtant, l’universalité doit fonctionner dans les deux sens.
Et ce, même si cela pose des questions éthiques qui peuvent être entendables, comme celle-ci : faut-il refuser ce qui nous est dû lorsque nous n'en éprouvons pas le besoin ?
Cette approche, en tous cas, elle résonne pour une partie de la population, pour qui se détacher le plus vite possible du monde du travail est un impératif.
C’est la tendance de l’early retirement, l’équivalent startup nation de la retraite anticipée, soit le fait de prendre sa “retraite” à 30 ou 40 ans, sans regarder en arrière. En précisant qu’ici, retraite signifie simplement l'arrêt du travail et non l’accès à une pension d’État.
Plus réalistes que l’influenceur crypto à Dubaï, les membres du mouvement ont toutefois tous une chose en commun : ils ont arrêté très tôt de travailler, tout simplement car ils ont construit une carrière et un mode de vie basé sur l’épargne à tout prix.
C’est un article de Welcome to the Jungle qui explique le phénomène et nous présente plusieurs profils, dont celui de Peter Adeney, plus connu sous le pseudo de Money Mustache.
Pour lui, il est totalement possible de prendre sa retraite seulement 7 ans après le début de son activité, si on épargne et place 75% de ses revenus.
Un sentiment partagé par les autres adeptes de l’early retirement, qui possèdent tous globalement tous le même profil : des ingénieurs de la tech californiens gagnant des salaires à 6 chiffres. On imagine que dans ces conditions, mettre 75% de ses revenus de côté n’est pas forcément insurmontable...
Mais tout cela a le mérite de nous mener à la vraie conclusion de ce développement : comme pour la réforme, le rêve de la retraite à 30 ans révèle avant tout l’ambition de repenser son rapport au travail plutôt que de toucher sa pension 35 ans avant tout le monde.
C’est le rejet de sacrifices, de plusieurs décennies allouées à une condition qui n’est plus récompensée avec autant de bénéfices qu’avant. Si bien que paradoxalement, la situation et l’envie montante de plusieurs générations de sortir de ce conditionnement historique nous montre une chose : tout est toujours une question de travail avant d’être une question de retraite.